«Le gouvernement doit accélérer les efforts pour relancer l’économie et la croissance, attirer les investissements, consolider les exportations, encourager le tourisme, créer de nouveaux emplois et améliorer les services publics ». Après la nomination de la nouvelle équipe ministérielle, la déclaration du président Mohamad Morsi fixe ainsi une lourde mission. Parmi les portefeuilles visés par le dernier remaniement figurent ceux de l’Intérieur, du Transport, de l’Electricité, du Développement local, de l’Aviation civile et celui très stratégique des Finances. Ainsi, des interrogations surgissent quant à la mission de ce cabinet. Que devra-t-il réaliser dans la période à venir ? Ou plutôt quels sont les plus grands défis qui s’imposent aux ministres ? Au premier plan, apparaissent de manière évidente les questions économiques. Car nul ne peut le nier : aujourd’hui, la situation économique en Egypte est de plus en plus préoccupante. D’ailleurs, c’est bien la crise économique traversée par le pays, à son apogée ces deux derniers mois, qui est à l’origine de ce remaniement ministériel.
Ces dernières semaines, le cours de la livre égyptienne est tombé à son plus bas niveau depuis 8 ans. La Banque Centrale d’Egypte (BCE) a reconnu dans un communiqué que ses réserves en devises, qui sont passées de 36 milliards de dollars à 15 milliards en deux ans, ont atteint un niveau critique. Les réserves en devises ont beaucoup servi jusqu’à présent à soutenir la monnaie nationale et assurer des importations vitales (blé, carburants, etc.). La BCE a de même pris une série de mesures pour limiter la fuite des capitaux comme l’instauration d’une taxe de 2 % sur chaque achat en dollars des particuliers aux banques. Face à cette chute de la livre égyptienne, le président Morsi est pourtant resté optimiste. Ou plutôt, il s’est voulu être rassurant affirmant que « la situation allait s’équilibrer dans les jours à venir. Cette question ne nous préoccupe pas et ne nous fait pas peur. D’ici quelques jours, les choses s’équilibreront, le marché retrouvera la stabilité ».
Un point de vue que partage Sobhi Saleh, figure de proue de la confrérie des Frères musulmans et membre du comité juridique et constitutionnel au Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement), qui affirme que ce gouvernement, avant son remaniement, a été confronté à des tentatives de sabotage au lieu de bénéficier d’un soutien. « Malgré tout cela, il faut reconnaître que ce gouvernement a réussi à réaliser d’importants succès. Il a fait cesser les ponctions sur les réserves de l’Etat ; il a signé plus de 300 nouveaux accords dont certains ont été appliqués. Donc avec un gouvernement aussi actif en pleine crise, on ne peut pas parler d’échec. Aujourd’hui, alors que la stabilité a commencé à revenir surtout après l’adoption de la Constitution, nous sommes certains que le nouveau gouvernement réussira mieux sa mission », estime Saleh.
Des aides de sauvetage
Cela est peut-être vrai, mais il est aussi indispensable de reconnaître en cette période que la situation économique est préoccupante. De quoi d’ailleurs recourir aux aides étrangères. L’expert économique Ahmad Al-Sayed Al-Naggar, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, va plus loin, en notant que la situation économique est alarmante : « Les indicateurs sont alarmants, le tourisme qui rapportait autrefois 13 milliards de dollars par an, ne rapporte plus que 8,8 milliards. Quant au chômage, il serait passé de 9 à 12 % de la population active en deux ans. Mais ces chiffres sont très en deçà de la réalité dans un pays où 40 % de la population vit avec deux dollars ou moins par jour ».
Le gouvernement égyptien a indiqué vouloir reprendre ses discussions suspendues depuis quelques semaines avec le Fonds Monétaire International (FMI) pour un prêt de 4,8 milliards de dollars. L’Union européenne et d’autres institutions financières associées viennent d’offrir à l’Egypte des aides d’un montant de plus de 5 milliards d’euros en dons, prêts à taux réduit et prêts pour la période 2012-2013, afin de « faciliter la transition démocratique du pays », selon les termes du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Il a exhorté les dirigeants égyptiens à conclure rapidement les négociations en cours avec le FMI. Cet accord ouvrira la voie à d’autres lignes de crédit et contribuera à rétablir la confiance des investisseurs internationaux et des partenaires économiques. Mais parallèlement, les conditions de ce prêt pourraient être politiquement et socialement très lourdes. En effet, en décembre dernier, en pleine crise politique et sous la pression de son propre camp, Mohamad Morsi avait dû geler précipitamment des hausses de taxes sur de nombreux produits de base et de consommation courante, qui auraient dû servir à redresser les finances publiques, mais qui en échange risquaient d’attiser les tensions. Le gouvernement avait toutefois affirmé que ces hausses n’étaient que suspendues, en attendant une vaste concertation sur leur impact.
Fakhri Al-Fiqi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, explique que le vrai problème du premier gouvernement Qandil est son incapacité à diriger l’économie égyptienne. Ce qui explique l’état de confusion continuel dans lequel on se trouvait. « Les ministres du premier gouvernement Qandil n’avaient aucun passé économique et même après le remaniement, on ne voit jusque-là aucune vision économique claire pour la période à venir », annonce-t-il. Et d’ajouter : « La plus grave erreur des ministres du premier gouvernement Qandil est qu’ils n’ont pas révélé la vérité aux Egyptiens. Il faut absolument que ces derniers comprennent qu’il est aujourd’hui indispensable, pour sauver l’économie du pays, d’imposer ces taxes pour pouvoir recevoir les aides du FMI ».
En effet, les craintes sur le niveau social sont fortes. Et le temps presse pour recevoir ces aides et sauver l’économie du pays. Pour rappel, c’est la quatrième fois depuis la révolution de janvier 2011 que l’Egypte tente de conclure cet accord avec le FMI. Une première fois sous le gouvernement de Essam Charaf, une deuxième avec Al-Ganzouri, et deux fois par le gouvernement Qandil. « Cet accord est devenu le défi économique à réaliser au plus vite tout en gardant l’équilibre avec la rue qu’il doit calmer à tout prix. Une équation difficile surtout s’il continue à suivre les mêmes politiques », souligne Al-Fiqi